Tourbillons

Publié le par Stéphane Delgarde

Les noirs martinets brillants rivalisent de trilles et de virages insensés en montant en spirale dans le ciel débordant de soleil. Chacun d'entre eux est un petit message divin sombre et lumineux dont les mouvements et les cris parlent tous de la même chose. Le gyre de la perfection est visible aux yeux de tous dans ce tourbillon illisible qui en permanence démontre que les dieux sont bienveillants pour peu qu'on comprenne leur chant de soleil et de noirceur.

L'Univers est un tourbillon, quel que soit le regard qu'on lui porte, quelle que soit l'échelle : tourbillon du ciel, de la Galaxie, qui ne saurait avoir une source et une embouchure, contrairement à ce que croient les barbares du Nil, qui comme tous les barbares divisent tout en carrés, qu'ils vénèrent. Ainsi ont-ils à grands frais érigé des amas de pierres carrés. De même les barbares de l'Orient, dont la soie fit des fortunes grecques, ont quadrillé leur territoire, et même leur écriture est carrée et manque de la souplesse nécessaire aux volutes de la pensée civilisée.

Des tourbillons ils n'ont retenu qu'une forme figée où la pensée et la beauté ne se mélangent pas mais sont fixement simplifiées en un schéma absurde qu'ils trouvent subtil parce que contenant une demi-douzaine de cercles... Alors que la spirale est la somme infinie des cercles et de toutes les autres formes.

La Galaxie elle-même ne peut être qu'une spirale parmi d'autres, qui ensemble en forment une plus grande, qui elle-même, avec d'autres de sa taille, en forment une plus gigantesque encore... Et ainsi de suite jusqu'aux dieux, dont les humeurs imprévisibles impulsent le changement permanent et le mélange incessant, par étirements et repliements, de l'ombre et de la lumière, du vide et de la matière, et des couleurs iridescentes des bulles produites et entrainées par tous ces remous jamais prévisibles mais toujours certains.

Elle est composée d'autres tourbillons de plus en plus petits, dont nous humains, mais aussi étoiles, moustiques et éléphants, ou même les animaux qui de loin semblent des mouches.

Tout ce que les barbares aperçoivent de la civilisation est aussitôt transformé en idoles et en formes simplifiées jusqu'à la limite de l'insulte. Cette absence de capacités à percevoir le mouvement va jusqu'à leur vision des couleurs : ils ne voient que le noir, le blanc, le rouge, et l'or. Et parfois le vert quand ils vivent dans le désert.

Parmi eux il se trouve parfois des sensibles aux formes subtiles, comme dans une portée de chats il arrive qu'il en apparaisse un qui ressemble à son homologue libre. Mais ils comptent surtout des gens qui, n'ayant rien vu du monde, interprètent toute différence comme une insulte personnelle ou collective, voire un blasphème. Les plus grands risques sont alors encourus par le Grec inconscient de son ignorance de l'importance de la surface des choses, pour ces peuples dont aucun groupe n'arrive à la connaissance de la raison raisonnante.

Ainsi les Grecs avertis possèdent-ils le monde.

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